« L’audace de l’impossible » – Le Père Général Arturo Sosa SJ sur la mission du JRS

17 novembre 2020|P. Arturo Sosa, Supérieur Général de la Compagnie de Jésus

Eucharistie à l'occasion du 40ème anniversaire du JRS avec le P. Arturo Sosa, Supérieur Général de la Compagnie de Jésus, 14 november 2020, à la Curie jésuite de Rome.

Eucharistie à l’occasion du 40ème anniversaire du JRS, 14 novembre 2020

Homélie

PArturo SosaSupérieur Général de la Compagnie de Jésus

 

Ne dormons donc point comme les autres, mais veillons, et soyons sobres. Nous venons d’entendre cet avertissement donné par Saint Paul à la communauté chrétienne de Thessalonique, il peut être entendu aujourd’hui comme un avertissement pour nous, pour le corps apostolique de la Compagnie de Jésus : il faut rester éveillé…

Parce qu’il était éveillé et ne dormait pas, le père Pedro Arrupe a entendu l’appel pressant des personnes déplacées. Parce que le corps universel de la Compagnie de Jésus était éveillé, attentif à l’appel de la CG 32 au service de la foi et à la promotion de la justice comme dimensions intégrales de son identité et de sa mission, une réponse créative à la situation des personnes déplacées et des réfugiés dans différentes parties du monde est devenue un engagement apostolique universel. L’approche était complexe et multiforme. La Société était appelée non seulement à fournir une aide « matérielle » mais aussi à « rendre un service humain, pédagogique et spirituel » (lettre du Père Arrupe, 14 novembre 1980).

Quarante ans plus tard, nous ne pouvons toujours pas dormir. Nous avons besoin d’être plus éveillés que jamais. De nombreuses menaces inattendues sont arrivées comme des larrons dans la nuit : la pandémie de la COVID-19, diverses violences, dont tant de guerres, l’affaiblissement de la démocratie en tant que forme de gouvernement, le racisme et le fondamentalisme religieux ou idéologique, le trafic de drogue et, pire encore, la traite des êtres humains, la détérioration irréversible de l’environnement… et, toujours, les personnes déplacées de force qui nécessitent une attention urgente.

  • L’année dernière, chaque jour 30 000 personnes étaient déplacées de force. 85% d’entre elles vivent dans des pays en voie de développement, et non dans les pays du Nord qui prétendent être submergés par les boat people aujourd’hui.
  • La souffrance des réfugiés met en lumière les besoins des personnes pauvres et marginalisées dans le monde entier.
      • Parmi les 17 millions de personnes vivant en Syrie, plus d’un tiers sont des déplacées internes, et un autre tiers sont des réfugiés, dont la moitié vit dans des camps en Turquie et au Liban.
      • A Adjumani, en Ouganda, où près d’un million de Sud-Soudanais se sont réfugiés, seuls 13% des enfants – réfugiés et locaux – vont au lycée.
  • L’année dernière, plus de 200 000 personnes, pour la plupart des Latinos fuyant la violence et le désespoir dans leur pays d’origine, ont tenté de demander l’asile aux États-Unis ; des familles ont été séparées, des enfants mis en cage, leurs demandes de sécurité ignorées ou retardées.

Tout en se souvenant de la création du JRS, la parabole des talents dans le passage que nous venons de lire de l’Évangile de Matthieu appelle, le corps apostolique universel de la Compagnie de Jésus, à l’audace. Nous sommes appelés à donner une réponse audacieuse aux crises imprévisibles du moment présent, sans diminuer notre engagement dans les tragédies humaines qui vont au-delà du moment présent, des tragédies comme la migration des personnes forcées à quitter leur pays d’origine pour cause de pauvreté, de violence ou d’absence d’avenir pour leur famille.

C’est l’audace de l’impossible qui a permis à Marie de Nazareth de croire en ce qui lui a été annoncé par l’archange Gabriel. C’est l’audace de l’impossible qui a poussé le Père Arrupe à donner une réponse immédiate à la situation complexe des personnes déplacées qui cherchent refuge.

On nous demande d’être audacieux avec ce que nous avons, avec tout ce que nous avons reçu de notre Seigneur qui nous aime. Nous pouvons réaliser cinq autres talents ou bien deux, selon la mesure du don reçu. Ce que nous ne pouvons pas faire, c’est enterrer le talent par peur de l’ampleur et de la complexité des difficultés auxquelles nous sommes confrontées, qu’elles soient connues ou inattendues. Nous ne pouvons pas enterrer le talent et le rendre sans rien produire.

L’audace à laquelle la parabole nous invite, nous empêche d’être dépassés par les calculs de nos capacités limitées.  Au contraire, elle nous pousse à proposer l’impossible comme une invitation du Seigneur lui-même. Si nous prenons la route en ayant pleinement confiance que l’Esprit Saint nous accompagne et nous guide, les talents doublés augmenteront encore plus à mesure que nous recevrons une aide que nous n’imaginions pas jusqu’à lors. N’est-ce pas là l’expérience du JRS au cours des quarante dernières années ? Au début de cette aventure apostolique, qui aurait pu imaginer la route que nous avons parcourue et les horizons qui s’ouvrent maintenant devant nous ?

L’urgence qui a inspiré le père Arrupe et qui inspire notre Saint-Père, le pape François, est toujours présente aujourd’hui. Le JRS est un ministère de la Compagnie de Jésus, et son rôle en tant que membre de la Compagnie est clair. Le ministère du JRS nous incite à vivre les Préférences Apostoliques Universelles, en s’inspirant de la spiritualité qui a motivé le père Arrupe à accompagner les personnes déplacées de force, à donner de l’espoir aux jeunes et à mettre en lumière le lien entre les sœurs et les frères déplacés et les soins de notre terre.

Les priorités du JRS – réconciliation, soutien psychosocial, éducation et moyens de subsistance – incarnent la mission de la Compagnie telle qu’elle a été exprimée par les récentes Congrégations générales. Le service humain, pédagogique et spirituel que le JRS offre est urgent et doit être remarquable, non pas à cause de nos normes ou des exigences des donateurs, mais parce que ceux que nous servons méritent le meilleur.

Le plaidoyer du JRS doit toujours viser à protéger les droits humains des personnes déplacées de force. Mais dans un monde où la mondialisation de l’indifférence est devenue normale, vos paroles et votre travail doivent nous aider à réagir, et non à enterrer ce que nous avons par insécurité ou par peur.

Ce 40e anniversaire du JRS est doux-amer. Si le règne de Dieu était pleinement présent, il n’y aurait pas besoin du JRS ! Pourtant, l’urgence de l’Evangile nous oblige à poursuivre notre travail.

En cette occasion particulière :

  • Je salue les millions de réfugiés qui ont fait partie de la famille du JRS pendant ces 40 ans. J’espère et je prie que ce que le JRS a fait avec vous et pour vous, a fait une véritable différence sur vous, vos familles et votre avenir.
  • Je suis reconnaissant aux dizaines de milliers d’employés, de volontaires, de jésuites et d’autres religieux qui ont répondu à l’appel urgent du père Arrupe et qui ont donné plus que ce qu’ils n’ont reçu de leurs frères et sœurs déplacés.
  • Je remercie chacun d’entre vous pour votre participation aujourd’hui et de faire partie de la famille du JRS, nous aidant à faire une différence dans un monde complexe et plein d’espoir.

Que Notre-Dame du Chemin nous fasse avancer avec l’audace de l’impossible. Nous avons besoin de cette grâce pour suivre les traces du père Arrupe et pour répondre aux défis du pape François, afin de mieux servir les personnes déplacées de force et les réfugiés avec une grande générosité et une grande sagesse, en utilisant les talents que nous avons reçus et en espérant en recevoir beaucoup d’autres.