Liban : entre espoir et désespoir

09 octobre 2020

Alaa, travailleur social du JRS Liban, décorant un de nos centres éducatifs pour célébrer la remise de diplômes aux étudiants.

Lorsqu’un être cher disparaît sans que l’on ne sache exactement ce qu’il est advenu de lui, famille et amis vivent dans l’incertitude, ne sachant pas ce qui s’est passé mais se raccrochant à l’espoir qu’il rentrera bientôt chez lui en sécurité. Depuis le début de la guerre en Syrie en 2011, des milliers de personnes ont été portées disparues. L’incertitude affecte le bien-être émotionnel des familles, causant une détresse et des relations familiales tendues.

Wissam, 29 ans, mère de deux enfants, a vécu dans un état de détresse et de chagrin pendant cinq longues années après que son mari soit parti travailler un jour sans jamais en revenir. Ses recherches dans les hôpitaux et les commissariats de police de toute la Syrie n’ont rien donné ; on lui a simplement dit qu’il avait disparu.

En 2015, alors que la situation en Syrie s’aggravait, Wissam a décidé de déménager avec ses enfants et ses parents au Liban. Bien que la famille ait pu laisser la guerre derrière elle, Wissam a eu du mal à expliquer à ses enfants la raison pour laquelle leur père n’était plus avec eux.  Chaque fois que ses enfants lui demandaient où se trouvait leur père et pourquoi il était parti, Wissam se contentait de leur dire qu’il était hors du pays ou qu’il avait disparu. Wissam ne parlait jamais à ses enfants de leur père, ni ne leur montrait sa photo.  Le sujet était trop douloureux pour être abordé.

La situation a eu un impact significatif sur le fils de Wissam, Samer*, qui avait cinq ans au moment où son père a disparu. Samer est devenu un enfant secret et isolé. La relation entre Wissam et son fils était fragile et instable. « Je ne savais pas quoi dire à mon fils, et ce n’était pas un enfant très facile à vivre. Samer a perdu du poids car son père lui manquait beaucoup et il a souffert d’alopécie pendant six ans à cause de cette situation », explique Wissam. Samer était continuellement de mauvaise humeur et ne savait pas comment exprimer ses sentiments ou ses opinions. Quand on lui posait des questions sur son père, Samer pleurait, ne sachant pas quoi faire dans de telles situations.  « Quand j’emmenais Samer à son école, il voyait d’autres élèves avec leur père, et cela le rendait si triste, mais il ne l’exprimait jamais », dit sa mère.

Ce n’est qu’en 2019 que Wissam a appris la mort de son mari, cinq ans après sa disparition.  « Je pensais que mon mari reviendrait et que nous continuerions notre vie avec nos enfants », dit Wissam avec douleur.

Une transformation grâce aux services de santé mentale du JRS

En 2017, les amis de Wissam lui ont fait découvrir le centre du JRS à Baalbek. Ses amis l’ont convaincue de s’inscrire au centre afin qu’elle puisse se divertir dans un environnement sûr tout en acquérant de nouvelles compétences. Wissam s’est inscrite à divers cours du centre, notamment le maquillage, la coiffure, l’informatique, la couture et la laine. De manière impressionnante, Wissam a terminé le niveau un et le niveau deux de chaque cours. « L’environnement du centre était très accueillant et les gens étaient très amicaux, et tous les cours que j’ai suivis m’ont été utiles », dit Wissam.  Après deux ans de fréquentation du centre, Wissam a eu le courage de s’ouvrir à Alaa, l’assistante sociale du centre. Wissam a raconté à Alaa les circonstances qui l’ont conduite au Liban et ses relations tendues avec son fils. Après trois sessions psychosociales avec Alaa, Wissam a été orientée vers Amara, le psychologue clinique du JRS à Baalbek, qui a travaillé avec Wissam sur la façon d’améliorer ses relations avec son fils et de se concentrer sur son bien-être.

Tous les travailleurs sociaux du JRS sont formés par le directeur du projet SMSPS du JRS pour détecter, soutenir et référer les cas de santé mentale. En outre, le directeur du projet SMSPS du JRS apporte un soutien sur le terrain à tous les travailleurs sociaux ainsi qu’aux psychologues, garantissant ainsi la qualité des soins fournis à tous les cas de santé mentale.

Wissam ne parlait jamais à ses enfants de leur père, l’effaçant de leur vie, et ignorait les conséquences que cela pouvait avoir sur ses enfants. « Je pensais que je pouvais tout compenser, même le rôle du père, en accompagnant mes enfants et en m’occupant d’eux », explique Wissam. Amara a expliqué à Wissam en quoi ces actions sont préjudiciables pour son fils. « J’ai appris d’Amara qu’il est très important de parler à mon fils de son père, de lui dire ce qu’il faisait, à quoi il ressemblait, et de lui montrer ses photos et ses vidéos. Elle m’a conseillé de lui rappeler comment il jouait avec lui, et comment il aimait le choyer.  De cette façon, je peux lui dire combien il l’aimait », confie Wissam.

Wissam avait l’habitude de soutenir toute personne qui criait sur ses enfants en pensant que c’était la bonne chose à faire. Amara a donc suggéré à Wissam d’adopter des compétences parentales plus positives et de montrer aux autres à quel point elle aime ses enfants et qu’elle les défendra dans toutes les situations. « Amara m’a dit que je devrais être plus souple et plus affectueuse avec mes enfants, leur montrer à quel point je me soucie d’eux et les écouter activement. Elle m’a expliqué à quel point il est important de les soutenir et d’empêcher quiconque de leur faire du mal ».  Après avoir travaillé avec Wissam lors de séances individuelles, Amara a ensuite rencontré Samer et a commencé à travailler avec lui sur l’expression de ses sentiments par différentes techniques, telles que le dessin.

Les sessions se sont avérées être transformatrices pour Wissam et Samer.  Wissam a commencé à remarquer le changement dans ses interactions avec ses enfants et est devenue une personne plus confiante. « Avant, je me mettais très facilement en colère, mais maintenant je suis plus calme et je suis devenue plus sociable. J’ai le courage de dire ce que je pense, et de dire « non » quand je n’ai pas envie de faire quelque chose », dit Wissam.

Samer parle maintenant de tout avec sa mère. Leur relation s’est énormément améliorée après seulement quelques séances avec le psychologue.  « Samer partage maintenant avec moi sa routine quotidienne, et nous avons des conversations sur toutes les situations qu’il rencontre. Il est maintenant capable de défendre ses convictions, de dire ce qu’il aime et ce qu’il n’aime pas, et il ne souffre plus d’alopécie », déclare Wissam avec enthousiasme.

Il a demandé à Alaa, l’assistante sociale, de lui parler de la transformation de Wissam. « J’ai travaillé avec Wissam pour améliorer sa relation avec son fils. Maintenant, elle peut mieux exercer son rôle de mère, elle prend son avis en considération et entame davantage de conversations avec lui. Il est évident qu’elle a maintenant une personnalité plus forte et qu’elle connaît sa propre valeur. Elle se mêle aux autres et tisse des liens en ce qui concerne le travail dans le secteur du maquillage [en dehors du centre social du JRS] ».

Amara, la psychologue clinicienne, s’est concentrée sur l’image que Wissam avait d’elle-même, sur l’image de celui qu’elle pourrait épouser dans le futur, et sur sa relation avec son fils et ses parents. « Wissam n’avait aucun espoir et aucun rêve pour l’avenir, elle se voyait comme quelqu’un qui n’accomplissait que des tâches ménagères, et elle ne s’en plaignait jamais, mais elle ne se sentait pas bien dans ce rôle. Elle désirait se marier avec quelqu’un qui pourrait la soutenir financièrement et lui donner un toit. Aujourd’hui, Wissam est fière d’elle, c’est une femme productive et proactive qui peut travailler lorsque l’occasion se présente. Sa relation avec ses enfants est devenue plus saine et plus équilibrée. Elle ne recherche plus un homme pour la soutenir financièrement, mais plutôt quelqu’un qui puisse être un bon allié et la motiver », explique Amara.

Samer, lui, a récemment terminé sa quatrième année à l’école du JRS de Baalbek. Wissam lui a acheté un ordinateur portable afin qu’il puisse regarder les photos et vidéos de son père quand il le souhaite. Bien qu’il ne soit plus physiquement avec eux, Samer se remémore son père et peut sentir sa présence.

Wissam est devenue une apprentie dans un salon de beauté local et développe ses compétences en cosmétologie dans les domaines du maquillage, de la coiffure et de la manucure. Afin de l’aider à faire face à la fermeture dû à la Covid-19, elle fait de l’exercice chez elle. Elle rêve d’ouvrir son propre salon un jour, peut-être à son retour en Syrie, et de continuer à soutenir ses enfants dans leur éducation.

 

*Samer est un nom fictif utilisé afin de préserver la confidentialité.